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LADISLAS COMBEUIL

Julie Crenn

« Un artiste original ne peut pas copier. Il n’a donc qu’à copier pour être original. »
Jean Cocteau – Le Coq et l’Arlequin, 1918.

En revenant et en manipulant l’histoire de la sculpture moderne et contemporaine, Ladislas Combeuil questionne le statut de la sculpture. De Constantin Brancusi à Raphaël Zarka en passant par Donald Judd et Richard Serra, il est à la recherche de nouvelles formes et de nouveaux dispositifs spatiaux. Ainsi, il travaille les silhouettes des œuvres de ses aînés, non pas en prélevant de la matière, mais en la découpant pour en restituer le dessin. Au moyen de baguettes de bois et de toile de lin, il refaçonne les formes d’Albrecht Durer ou de Frank Stella ( Formes en transit). Les éléments du support de la peinture (châssis et toile) sont détournés au profit d’une relecture du volume et de son histoire. Les références servent de base de travail pour produire un dépassement, une traduction. Plus récemment, l’artiste se concentre sur les motifs ornementaux présents dans l’architecture arabe ou encore les vitraux ou les sols de bâtiments anciens. Les motifs sont décontextualisés et reconsidérés d’un point de vue matériel. Ladislas Combeuil procède à un travail d’ajourage du bois pour faire naître ses Moucharabieh et Claustra. Les panneaux sculptés peuvent être associés pour redessiner l’espace d’exposition en formant un parcours où le regardeur, à la fois caché et visible, se perd dans une profusion de motifs. Accrochées directement au mur, les œuvres ajoutent une réflexion sur la peinture. Une réflexion qui traverse sa pratique depuis quelques années, en 2012 il construit une paroi en assemblant des dizaines de toiles enchâssées, barbouillées de blanc et retournées. Pensées pour moi-même atteste à la fois d’un hommage et d’un refus de la peinture. Seule la forme subsiste.
Avec un soin particulier accordé aux mathématiques et à la géométrie, l’artiste respecte les notions de symétrie et les questions de proportions de la composition. Une donnée que nous retrouvons avec la pièce Sierpinski (hommage au mathématicien polonais), où, sur le sol, sont disposés des octogones en béton. Ils forment un ensemble à la fois normé et décoratif. Ou encore avec l’œuvre intitulée Brise Lame, où l’artiste choisit de conserver les arrêtes du dessin d’un brise lame, pour le traduire au moyen de barres en acier rouillé. Au fil des œuvres, Ladislas Combeuil installe une confusion entre des dimensions mathématiques, fonctionnelles et ornementales. En prélevant dans différents domaines, il ouvre les formes de la sculpture pour en prolonger et réactualiser l’histoire.

Sur l’exposition «La peinture comme lieu», Le narcissio, Nice, 2020

Par Michel Gathier

Tout saisir par son contraire, dévoiler le négatif en retrait d’une image, assécher celle-ci jusqu’à ce qu’il n’en reste que l’os du cadre. Tel serait le propos de l’œuvre de Ladislas Combeuil si ce parti pris n’était lui-même soumis à l’histoire de la peinture, de la sculpture voire de l’architecture. Par effet de boomerang, la peinture invoquée rebondit alors sur autre chose, sur des signes, les incidences de l’histoire de l’art et de ses impensés qui eux-mêmes dérivent d’autres pratiques pour lesquelles l’artiste interprète d’audacieuses variations.
Si Ladislas Combeuil, dès sa sortie de l’Ecole des Beaux Arts d’Angers en 2015, déconstruit de façon magistrale la peinture, ce n’est pas pour exhiber sa structure ou son inconscient comme l’aurait fait Supports-Surfaces mais plutôt dans l’idée de repérer, dans d’autres temps et d’autres champs, des volumes neutres qui prennent forme. La peinture devient ainsi en elle-même ce lieu qui se charge de l’apport du temps et qui, avec lui, se transforme, prend du relief et redéfinit un espace.
Le fil conducteur de l’exposition sera donc bien, en creux, la peinture. Celle-ci disparaît pourtant dans le fil des volumes pensés autrefois par Dürer, puis par Giacometti et Tony Smith. Chacun d’eux s’inspire d’un objet poli, anguleux, indéfini et parfois en désaccord avec leur travail habituel. Ces œuvres demeurent des hypothèses comme hésitantes quant à la validité de ce que peinture ou sculpture pourraient définir. Cette hésitation Ladislas Combeuil l’exprime par son contraire, dans la solidité des pièces exposées, les châssis qui s’imposent, l’envers des toiles nues en guise d’ élaboration spatiale. Un dispositif qui aurait pu évoquer la fresque ou le bas-relief mais duquel surgit toujours d’autres mémoires comme si l’artiste traquait, au delà de la forme, de la couleur et de l’espace, l’essence même de la peinture et que celle-ci se localisait dans un ailleurs toujours renouvelé.
Celle-ci est donc bien un lieu. Indéterminé, il localise les éléments de la progression d’une histoire comme ceux d’une incertitude. Qu’en est-il de l’art, de ce qu’il donne à voir et de ce qu’il cache, ou bien de ce qu’on ne perçoit pas ? Ladislas Combeuil, non sans poésie et humour, dépeint la peinture à coup de ciseaux à bois; il joue de l’illusion et d’un idéal impossible en créant des pièces parfaitement structurées dans un espace pensé et maîtrisé. Il doute de la validité de la couleur. Il fouille les racines de l’art et étale, sur le sol ou les murs, les reliquats de ses découvertes et le murmure du temps.

Sur l’exposition « Silhouettes mimétiques », Galerie Silicone, Bordeaux, 2016                     

Par Christophe le Gac

Pour sa première exposition personnelle, Ladislas Combeuil investit tous les espaces de Silicone. L’artiste, sorti des Beaux-arts d’Angers en 2015, profite de cette invitation pour produire de nouvelles pièces et reconfigurer de plus anciennes.

Depuis, entre autres, « Citadelle », une imposante sculpture composée d’un ensemble déstructuré de volumes architectoniques façonnés en bois, agrafes et toiles, de dimensions variables et recouverts d’un blanc acrylique, le travail de Ladislas Combeuil oscille entre peinture et sculpture.

Dans l’exposition bordelaise, il met à profit ses expériences en la matière. L’entrée des visiteurs est perturbée par une sorte de labyrinthe constitué d’une multitude de châssis entoilés. Son nom, « Pensées pour moi-même 2 », évoque le travail d’un Richard Jackson et défie les lois de la traduction picturale. Une fois passé l’obstacle, l’amateur d’art se verra confronté à plusieurs panneaux de contreplaqué sculpté redessinant l’espace. « Claustra » évoque les séjours de l’artiste en Inde et sa passion pour la scie sauteuse et les abrasifs. A l’image de ses mains après de longues heures de travail, les supports ne sont pas lisses mais pleins d’aspérités.

Toujours à la limite de la destruction, certains classiques de la sculpture moderne et contemporaine sont jetés en vrac le long du mur. Grises, confectionnées avec les matériaux de prédilection de l’artiste, elles rendent hommage au corpus d’œuvres avec lequel il a fait ses armes. En même temps le « mal fait » volontaire de ces volumes, la neutralité grisâtre de leur surface et leur installation foutraque dans l’espace montrent sa volonté de dépasser cet héritage. Tout au moins il essaie de les démystifier.

Une nouvelle proposition, « Studiolo », est constituée d’un faux plafond et de copeaux de contreplaqué posés au sol. Cet ensemble accentue la confusion recherchée par l’artiste, entre peinture, sculpture et architecture.
D’autres surprises, placées ici ou là dans les différents espaces de Silicone, viennent rythmer l’exposition.

Manifestement, Ladislas Combeuil dépasse les dualités sculpture/peinture, volume/surface, forme/concept.
Fil conducteur depuis ses débuts, l’opposition entre l’art conceptuel et le « fait main » n’aurait plus lieu d’être étant donné sa dissolution postmoderne, moderne, postinternet, enfin comme vous voulez (rire !).
Pleines de distance et de savoir-faire, les œuvres de Ladislas Combeuil interrogent l’histoire de l’art, le labeur de l’artiste dans son atelier, son statut d’artiste, le tout enrobé d’une indéniable ironie et de beaucoup d’humour.